DE JARVIK A CARMAT : une épopée de trente ans à l’AP-HP
Quand on parle de cœur artificiel, il est impossible de ne pas penser à ceux qui en ont porté les progrès. Parmi les pionniers, une figure de la cardiologie française, le Pr Christian CABROL, Président Fondateur d’ADICARE.
13 Avril 1986. L’équipe du Pr Christian CABROL à la Pitié-Salpétrière, pionnière dans la transplantation cardiaque, réalise la première greffe de cœur artificiel total en Europe. Mais au départ, cela n’avait rien d’une évidence.
« En 1984, notre programme de greffes cardiaques connaissait des succès très encourageants », se souvient le Pr CABROL. « Concernant l’utilisation d’un cœur artificiel, j’étais plutôt réticent ».
Pourtant, c’est avec les Prs Iradj GANDJBAKCH et Alain PAVIE, ses futurs successeurs, que le Pr CABROL va réaliser cette première greffe de cœur artificiel dans un Hôpital Européen. Ce sera un Jarvik 7, un modèle composé de deux demi-cœurs, droit et gauche, en plastique, qui se raccordent comme un greffon par des sutures aux oreillettes à l’artère pulmonaire et à l’aorte.
« Le début de tout », explique-t-il, « c’est cet homme venu me dire sa reconnaissance d’avoir tout tenté pour sauver sa femme malgré tout décédée ». En fin d’entretien, le mari lui demande : « Pourquoi ne lui avez-vous pas mis un cœur artificiel ? ». Le chirurgien, désarçonné, lui avoue qu’il n’en dispose pas. « Dans un service comme le vôtre, il en faudrait un » lui répond l’homme.
Un autre évènement la même année 1984 va lui faire changer d’avis.
Cette fois-ci, c’est la rencontre avec le Dr Didier LAPEYRE. Ce médecin travaillait à la fabrication d’une prothèse cardiaque dans les ateliers de la recherche de l’Aérospatiale.
« Il est venu me demander de pouvoir utiliser notre laboratoire expérimental, bien équipé » raconte le Pr CABROL, « tous les essais précédents s’étaient soldés par des échecs. J’acceptai de lui apporter notre aide tout en n’étant pas convaincu du résultat ».
A sa très grande surprise, l’intervention réalisée sur une génisse est un succès. Le chirurgien est intéressé par l’invention pour certains malades, mais Didier LAPEYRE disparaît en disant que ce cœur n’est pas encore au point.
Le Pr CABROL décide alors d’aller aux Etats-Unis voir un cœur artificiel, baptisé ‘Jarvik 7’, développé par Willem KOLFF et Robert JARVIK. Il a été utilisé la première fois en 1982. Les inventeurs lui proposent un stage d’une semaine d’entraînement à l’implantation. Il en repart avec des certitudes positives.
De retour à Paris, un journaliste du ‘Figaro’ lui demande d’écrire un article sur le cœur artificiel. Le Pr CABROL lui dit être maintenant convaincu de l’intérêt du dispositif mais que la plus grande difficulté est de trouver le financement.
Quelques jours plus tard, le journal lui propose de lancer une grande souscription nationale destinée à cet achat. D’abord opposé à l’idée, le Pr CABROL se laisse convaincre par son équipe qui l’exhorte à ne pas refuser cette occasion inespérée. Comme il s’y attend, les critiques des confrères « acerbes » ne manquent pas. Le dénouement heureux vient d’ailleurs. Quelque temps plus tard, son ami, le Pr René TOURAINE, médecin du Roi du Maroc, lui annonce au téléphone une nouvelle inattendue : le souverain souhaite lui offrir son cœur artificiel.
« C’était formidable », se souvient le Pr CABROL, encore très touché de ce geste. « J’avais opéré quelques années plus tôt une jeune fille de sa cour et n’avais pas accepté de rémunération, étant salarié à temps plein à l’Assistance Publique. Le roi aurait pu penser qu’après tout, c’était un dû. Mais il a exprimé sa reconnaissance le moment venu avec beaucoup de tact ».
Et l’aventure du cœur artificiel a pu commencer.
(Source : Le Quotidien de Médecin – Juin 2016)
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