Deux ans après une greffe du coeur
Christian, greffé du cœur en 2002, nous fait part de ses réflexions sur sa relation avec « l’Autre ».
La Maladie s’est installée de façon soudaine, avec une force exceptionnelle, de la nature de celles qu’on n’imagine pas. Tout se passe comme si le passé et même le présent n’avaient plus aucune importance. Existent-ils d’ailleurs ? Seul l’avenir compte désormais et cet avenir a désormais une nouvelle dimension : il a une durée.
Celle-ci n’est pas volontairement quantifiée. Elle a par contre une fin qui, elle, est inévitable, inéluctable. Chaque instant qui passe est défalqué de ce délai de vie qui reste accordé.
Malgré toutes les possibilités offertes par la médecine, malgré les forces intérieures insoupçonnées, malgré la volonté et l’âpreté, malgré la ténacité, malgré les défenses opposées à la peur, malgré tout ce qu’on peut mettre en œuvre, rien ne pourra s’opposer et résister à une défaite annoncée. Le mot « espoir » a alors, lui aussi, une limite supérieure qui est maintenant à portée de main. Pour la première fois, le mot « fin » apparaît dans le générique de la vie. Le verbe « finir » se conjugue au futur immédiat et ne concerne qu’un pronom personnel. « Je vais finir » est une sentence qui résonne, manière pudique de dire « Je vais mourir ».
Est prononcé alors le mot « greffe » qui est d’emblée une bouffée envahissante d’un espoir nouveau, cette fois sans limite, mais aussi d’un gigantesque point d’interrogation devant une liste sans fin de questions jusqu’ici jamais posées.
Et c’est là le premier paradoxe de la greffe…
A ce paradoxe, s’en ajoute tout de suite un autre : celui relatif aux circonstances du don. Ce qui sauve le receveur, c’est le don de l’autre et donc, sa mort, et de celle-ci, le receveur se sent coupable, même si cela est fondamentalement faux. Il ne s’agit pas de la culpabilité liée à la mort du donneur, mais de la culpabilité liée au profit égoïste et salvateur de cette mort.
Autre paradoxe, toujours lié aux circonstances du don : la violence de l’instant, c’est à dire la souffrance extrême issue d’un événement tragique et imprévisible qui se trouve confrontée, sans le rencontrer, à un espoir possible qui devient alors réalité. Une vie qui cesse brusquement et injustement va être le coup d’arrêt d’une mort annoncée et le point de départ d’une renaissance.
Paradoxe qui frappe l’ego du donneur : la greffe est la preuve la plus organique de notre impossibilité de vivre sans l’autre, autre qu’il faut désormais écrire avec une majuscule, car il ne s’agit pas de la personne, mais de la représentation spirituelle que l’on s’en fait. L’Autre n’est pas que le donneur, sa famille et ses proches. L’Autre n’est pas non plus que l’équipe médicale ou les instances sociales. Non, l’Autre est tout ce qui compose l’entourage proche et éloigné du greffé.
L’Autre est tout ce qui participe à l’acte de la greffe, volontairement ou non. L’Autre, c’est la société à laquelle nous appartenons et qui donne à tous les mêmes droits sans préjugés ni réticence.
Et cette Société, elle n’est pas si mauvaise que cela : si le pire est étalé au grand jour, il y a beaucoup de quotidien qui rassure. Dans les composantes de ce quotidien, il y a le don d’organes et la greffe. Et la solidarité qui n’est pas un mot si vain que cela…
Enfin, ultime paradoxe : si la greffe est la preuve éclatante des progrès de notre monde dit moderne, elle nous rappelle un mot aujourd’hui disparu. Ce mot, c’est Humanisme, mot qui a marqué le point de départ de la Renaissance.
Christian
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